Des groupes de rebelles se réclamant de la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC) ont plongé à nouveau la Centrafrique dans un bain de sang, suite à des attaques armées perpétrés dans les différentes localités du pays, y compris à Bangui, aux premières heures du mercredi 13 janvier 2021. Ces mêmes groupes pourtant signataires de l’accord dit de Khartoum-Bangui, le 6 février 2019 semblent aujourd’hui sortis des rangs. Pourquoi ?
A cette crise sécuritaire, s’ajoute une crise politique qui voit plusieurs candidats malheureux des élections présidentielles du 27 décembre 2020, contester la victoire du Professeur Faustin Archange TOUADERA avec un score de 53.16%, malgré la confirmation de la Cour Constitutionnelle, le 18 janvier. Pourquoi ?
D’abord, comprenons-nous bien. Il est absolument normal que dans un pays, puissent exister des oppositions face aux partis au pouvoir. C’est l’un des constituants de l’ADN d’une démocratie.
Cependant, que n’est-il pas utile de rappeler que, quel que soit la profondeur des antagonismes, des divergences, voire des rancœurs, point n’est besoin de recourir aux armes pour trouver une solution. La voie démocratique, même imprécise, chancelante ou primaire semble en tout point de vue, celle qui convienne.
Elle est exigeante et ouvre un espace où chaque acteur doit chercher à convaincre au moins 50 +1% de la population. Dès lors, la négociation s’invite comme la canne d’un mal voyant.
Et elle devient cruciale, surtout quand une crise s’invite au soleil et se laisse conjuguer au présent de l’indicatif. Puis, sachant que pour se coucher, il faut d’abord s’asseoir, qu’entendons-nous par négociation ?
Qu’est-ce donc la négociation au sens du concept de l’intelligence négociationnelle ?
Le concept de l’intelligence négociationnelle, est la capacité donnée à quiconque de mobiliser outre certains outils spécifiques associés, des aspects de ses différentes formes d’intelligence pour atteindre un objectif donné. Quitte à chacun de mobiliser toute ou partie de sa capacité argumentative, de son humour, de son physique, de sa maîtrise de l’espace, de son sens aigu dans l’usage du réseau, etc. Bref il s’agit de s’inscrire dans un processus d’optimisation de ses chances en négociation.
Le concept de l’Intelligence négociationnelle invite à saisir l’art de la négociation comme un processus de dialogue à 4 temps, surtout en période de crise.
1-Le temps est déclaratif. Chacun dit ce qu’il pense du dialogue, s’il est pour ou contre, etc. Il est également le moment des missions discrètes de bons offices, lesquelles peuvent être assimilées parfois à une médiation silencieuse. C’est le temps de la jauge publique, d’info et d’intox.
2-Le temps est celui du dialogue effectif qui peut articuler ses deux composantes : la secrète et la publique. C’est le temple de la manifestation de tout l’art de la négociationnelle ; le moment où chacun abat ses cartes. C’est souvent ce temps qui retient l’attention et fait l’objet de beaucoup de commentaires.
3- Le temps des résultats. Quel fruit est né du dialogue. Cette finalité est la plus attendue par tous les acteurs. Le positionnement du curseur permet d’apprécier la part de chacun des protagonistes. Mais le plus important est dans bien de situations, le fait d’apprécier si des convergences ont pu être établies et à quel prix ; et aussi, les mécanismes arrêtés pour gérer la part résiduelle des divergences qui pourraient perdurer.
4- Le temps d’après, celui de la mise en œuvre des résolutions. La mise en œuvre effective des résolutions donne du crédit aux acteurs. Bien souvent, des divergences peuvent apparaître dans la mise en œuvre, du fait des interprétations personnalisées de l’accord conclu, mais aussi de la mauvaise foi de certain des acteurs.
Enfin, le concept de l’intelligence négociationnelle permet la mobilisation d’une série d’outils et de techniques pour avoir une préparation de qualité et savoir user de toutes les ficelles pour accéder à son objectif, économique, politique, salarial, matrimonial, etc.
Le concept de l’intelligence négociationnelle est donc utile à différentes personnes et dans différentes situations, avec un chef d’entreprise, un manager, un responsable politique, un professeur etc.
Et dans la crise actuelle qui secoue la Centrafrique le Président TOUADERA doit-il dialoguer avec les rebelles et ou avec la classe politique ?
Le Président TOUADERA, pour ce que je sais, a toujours dialogué, depuis son élection en 2016. Ce dialogue a permis la signature de l’accord de paix de Kartoum-Bangui de février 2019. Sa politique apparaît comme un offertoire continu de mains tendues.
Il lui est d’ailleurs reproché d’avoir tendu la main à l’ex-président François BOZIZE, après son retour clandestin en décembre 2019 à Bangui. Il aurait pu en effet, le faire arrêter, étant donné qu’un mandat d’arrêt court en son encontre.
Cela dit, il faut souligner avec objectivité que certains acteurs centrafricains ne pensent pas ainsi. Ce qui est normal, car la démocratie, ce n’est pas l’unanimité, mais la majorité. Et même si je pense que la majorité des Centrafricains voient en Touadéra un homme de dialogue et de paix, il est parfaitement normal d’écouter et de respecter également ceux qui pensent le contraire.
Une fois cela dit, la question est de savoir s’il doit négocier actuellement avec les rebelles qui ont pris les armes et qui occupent une bonne partie du territoire et ou avec la classe politique ?
Ma réponse est Non et Oui.
Non parce que nulle part, l’on ne discute pas sous le crépitement des armes ou quand on est serré à la gorge. Les rebelles de la CPC disent que le problème est politique. Si tel est le cas, il n’est point besoin de prendre les armes pour trouver une solution. Il faut donc avant toute chose, que les opérations armées et le blocage des routes cessent.
Il importe donc que, ces rebelles et tous leurs commanditaires soient saisis d’un vent de sagesse pour accéder à l’art de la réflexion et être habités d’un discernement qui ne dandine pas entre le bien et le mal ; un discernement qui permettra de se voir se révéler à eux, l’incongruité d’une action qu’ils présentent comme salutaire au peuple, mais qui en réalité fait souffrir le même peuple.
Avant de dialoguer, ses rebelles doivent déposer les armes, libérer les routes bloquées et surement demander le pardon au peuple qui, dans sa large majorité n’apprécie guère la recrudescence des violences.
L’accord de Karthoum-Banguy, est le 13 ème accord que la RCA a connu et aujourd’hui, force est de constater que plusieurs Centrafricains sont hostiles à un nouveau dialogue, et cela peut se comprendre.
Oui, car dialoguer ne veut pas dire faire preuve de timidité, de mollesse voire de faiblesse, mais d’une transcendance qui vous conduit à garder votre mental haut perché, à déployer une rectitude inspirée sur un lit d’amour et de sagesse afin de faire ce qu’il faut faire pour une paix durable.
Ceux qui cherchent à détruire n’ont que peut d’efforts pour réussir ; mais ceux qui élèvent des bâtisses à la gloire de la paix, ceux qui créent, ceux qui œuvrent pour le bien de tous, pour l’intérêt général, savent combien la tâche est rude. Eux, se doivent de poursuivre l’œuvre inlassable pour une paix totale et durable ! Le dialogue et par extension, la négociation, n’est donc pas pour les faibles. Il est exigeant et se doit l’être, surtout dans le contexte actuel.
Le oui pour un dialogue, particulièrement avec les acteurs politiques, les responsables communautaires, religieux, la société civile et la diaspora doit pour autant, me semble-t-il obéir à certaines règles et être envisagé dans une temporalité à définir
Entendre les clameurs qui montent de toutes parts
J’entends et je comprends : ceux qui estiment que trop c’est trop ; ceux qui disent qu’il faut en finir une bonne fois avec ces rebelles armés, dont certains sont des étrangers ; ceux qui partout en Afrique et dans les diasporas apportent leur soutien au Président TOUADERA.
J’observe la détermination patriotique des Forces Armées Centrafricaines, les FACA, à retrouver toute l’intégrité de leur territoire. D’ailleurs, c’est l’occasion de plaider à nouveau pour une levée effective de l’embargo qui pèse depuis 2013 sur la RCA. Cette levée est nécessaire pour la souveraineté du pays.
Le travail des forces onusiennes de la MINUSCA ainsi que celui des partenaires bilatéraux de la Centrafrique, sont à saluer pour la défense des institutions de la République et la protection des populations.
Mais il me plait de souligner que, seuls les Centrafricains peuvent libérer la Centrafrique et sans une armée totalement investie dans ses prérogatives, le travail risque d’être très laborieux. Il est donc indispensable que tous les blocages qui perdurent et empêchent cette levée de l’embargo, trouvent rapidement une issue favorable. Faute de quoi, nous courons le risque de voir émerger une nouvelle crise d’un genre nouveau et aux conséquences imprévisibles.
Je suis convaincu que le dialogue aura lieu aujourd’hui ou demain. Il a peut-être déjà commencé, sous d’autres formes, car de la discussion peut jaillir la lumière et ce n’est pas la force qui gagne toujours, mais la sagesse. Et le dialogue n’est pas obligé de produire les résultats que le peuple ne veut plus.
Enfin, il convient d’avoir à l’esprit que la crise centrafricaine est devenue une crise sous régionale voire panafricaine avec un relent international.
J’appelle à soutenir les institutions de la République Centrafricaine et à œuvrer collectivement pour qu’elles ne tombent pas. La stabilité de la RCA est une bonne nouvelle pour ses pays frères limitrophes qui lui apportent d’ailleurs leur soutien. Elle est également une bonne nouvelle pour consolider les acquis démocratiques et tourner définitivement le dos au règlement des conflits politiques par la prise des armes, en Afrique.
Alors, dialogue ou pas dialogue ?
Chaque chose en son temps. Il y’aura un dialogue entre les centrafricains j’en suis persuadé. Pour le moment le pays est en état d’urgence et est confronté à de grandes opérations militaires et sécuritaires.
Et sans trop m’avancer, je pense que le pays est aujourd’hui face à 4 attentes :
- La fin du processus électoral qui permettra d’apprécier les forces politiques en présence.
- L’investiture du Président TOUADERA pour l’officialisation de son second mandat et sa prise de fonctions.
- La mise en place d’un nouveau gouvernement qui peut réserver des surprises.
- Et la configuration de la nouvelle Assemblée Nationale.
Je pense donc qu’à l’issue de toutes ces attentes et avec les nouveaux acteurs, le dialogue proprement dit pourra être lancé avec le soutien des organisations sous régionales, onusiennes, des partenaires internationaux, pour le bien-être du peuple centrafricain.
J’ai l’espoir que les différents passés de la RCA parviendront à instruire convenablement les temps du présent afin que vienne au soleil du jour, l’unité des filles et fils de la patrie de Boganda, pour un sursaut salvatrice. Car comme dit un dicton togolais, «si le sorcier de ta maison ne te vend pas, celui de l’extérieur ne pourra jamais faire de toi, son déjeuner».