Plusieurs centaines de documents sont mis en ligne vendredi par le site américain. Ils émanent pour la plupart des autorités centrafricaines et fustigent les conditions de l’exploration minière du français ainsi que sa sortie du pays en 2012.
Le boulet s’alourdit d’un poids supplémentaire. Près de quatre ans après s’être retiré de son exploration minière en Centrafrique – acquise dans le cadre d’un rachat controversé du groupe canadien Uramin en 2006 qui a depuis donné lieu à l’ouverture de deux informations judiciaires en France -, des centaines de pages de documents sont rendus publics par Wikileaks le 5 février concernant « la vilaine petite guerre pour l’uranium africain », selon la formule (en anglais) du site fondé par Julian Assange.
En bonne place parmi ces documents figure un texte (non daté) « du comité de suivi du processus de retrait de la société Areva ressources », créé en novembre 2012 par les autorités centrafricaines sous la houlette de l’ancien ministre des Mines Obed Namsio dans la foulée de l’annonce du départ d’Areva le 2 août 2012. Soit six ans après qu’Areva a racheté à Uramin – au prix très fort de 1,8 milliard d’euros – ses gisements d’uranium en Namibie, en Afrique du Sud et… en Centrafrique.
Au détour de paragraphes s’inquiétant des indemnités versées par la société à 133 salariés licenciés (des sommes allant de 650 000 à 1 850 000 F CFA en fonction du grade et de l’ancienneté – négociées ensuite à la hausse) et de listings des matériels mis en vente par la société (4X4, conteneurs, tractopelles), Areva Ressources Centrafrique, le projet centrafricain d’Areva suspendu depuis 2012 en raison du faible prix de vente d’uranium sur les marchés internationaux, est mise à mal sur les conditions de son exploration minière et de son départ du pays d’Afrique centrale.
« Aucun moyen de protection »
Réalisée à Bangui, dans la capitale, et à Bakouma où les gisements explorés se situent, l’expertise centrafricaine – telle que publiée par Wikileaks – se montre particulièrement sévère en ce qui concerne la santé des anciens salariés d’Areva. « Des entretiens eus avec le personnel, il ressort que les foreurs, aides foreurs et agents de laboratoire qui sont censés être en contact avec les roches minéralisés en uranium ne disposaient d’aucun moyen de protection ni n’étaient sensibilisés sur les mesures de radioprotection pendant leurs activités. »
Et de noter plus loin que « les activités du laboratoire axées sur le traitement des carottes à travers des séries de manipulation, se faisaient à main nue et sans aucune protection » et que, même si « la radiation mesurée est naturelle » sur le site (autour de 0,5 micro sievert), les salariés « ne disposaient pas tous d’instrument de mesure de la la dose radioactive à laquelle ils étaient exposés ».
Le comité regrette également que « les données indispensables dont [il] a besoin ont été soit détruites, soit dissimulées par Areva qui a procédé volontairement au formatage des disques durs de tous les ordinateurs sur le site, au verrouillage du serveur et a emporté toute la documentation existante avant l’arrivée du Comité sur le site ».
Areva, interrogé par Le Monde, réfute ces conclusions et rétorque que « les employés du site avaient des tenues de travail adaptées et bénéficiaient de sensibilisations régulières aux enjeux de sécurité », qu’elle avait « mis en place un suivi radiologique des salariés, dont les résultats étaient suivis par le médecin ».
Des dossiers de suivi que le comité centrafricain n’a pas pu consulter, ce dont il s’émeut. « Tous les documents se trouvant sur le site ont été transférés à la direction générale d’Areva Ressources Centrafrique », « la version numérique installée sur le serveur a été verrouillé », « les disques durs des ordinateurs formatés », est-il indiqué un peu plus bas dans ce même document.
Réaménagement de sites « bâclé »
La charge n’est pas moins lourde en ce qui concerne la gestion environnementale de l’exploration. « La réhabilitation de certaines plateformes et le réaménagement de quelques sites ont été partiels ou bâclés », avance le comité.
Après la création de ce comité, un second document rapporte les minutes d’une rencontre de 3 heures entre Gianfranco Tantardini, le PDG italien d’Areva Ressources Centrafrique, et Marie Clotilde Nambona-Boybo, directrice générale de la société. « Areva, après étude, sait que cette mine n’est pas rentable et elle ne le sera pas dans deux ou quatre ans », y déclare-t-il à Benoît Begba, le coordonnateur du comité.
Ce n’est pas la première fois que des salariés d’Areva ou de ses filiales africaines contestent leur ancien employeur. La fille d’un ancien mineur au Niger avait fait condamner Areva en première instance à Paris après la mort d’un cancer du poumon de son père causé par l’inhalation de « poussières d’uranium » et « de cobalt », avant finalement que le jugement ne soit défait en appel en 2013. Au Gabon, Areva a indemnisé les ayants-droit de deux de ses anciens salariés, morts d’un cancer du poumon après avoir travaillé pendant des années dans une mine d’uranium.
Une curieuse ONG sportive
L’énorme base documentaire mis en ligne par Wikileaks ne s’arrête pas Areva, loin s’en faut. Liste des primes payées par les entreprises minières à la République de Centrafrique, décret de l’ancien président François Bozizé accordant des licences minières moyennant un investissement minimal de 500 000 F CFA par kilomètre carré, la liste est longue.
Également révélé, le texte d’un accord entre la Centrafrique et le Groupe d’alliance des sports, qui revendiquait une accréditation du conseil économique et social des Nations Unies, l’un des organismes consultatifs de l’assemblée générale onusienne, pour l’exploitation minière de l’or et des diamants pour un chiffre d’affaires allant jusqu’à 100 milliards de dollars contre un investissement initial de 40 millions de dollars. Plusieurs accords également signés avec l’AMS dans l’hydroélectricité, les routes, les télécommunications et la santé « n’ont jamais vu le jour » avance Wikileaks, qui publie également cette série de documents.
Source: Jeune Afrique