INTERVIEW
Interview réalisée par Eric NGABA et Prince WilfriedNzapaoko
Bangui 31 décembre 2020—(NdjoniSango) : Dans une interview exclusive, le représentant pays de la Cour pénale internationale (CPI), Mike Cole répond aux questions du journal Ndjoni Sango sur le rôle et la mission du bureau de la cour à Bangui. Dans cet entretien, il est aussi évoqué la question du procès de Edouard Patrice Ngaïssona et Yekatom Rombhot détenus en ce moment à la Haye.
Qu’est-ce que nous pouvons savoir du rôle que joue le Bureau de la Cour Pénale Internationale en Centrafrique ?
La mission du Bureau de la CPI ici à Banguiest que nous soutenons le processus de la justice en entier. Si vous pensez à la Cour Pénale internationale, vous pensez, peut-être, automatiquement au Procureur, Madame Fatou Bensouda.
Mais si vous regardez le logo de la CPI, sur le drapeau de la CPI, il y a un symbole de la balance qui symbolise la justice. Il n’y a pas seulement que la Procureur, mais d’un côté, l’accusation, le procureur, la défense et de l’autre côté, le Greffe au milieu.
Le bureau de la CPI en RCA représente le greffier de la Cour Pénale Internationale à Bangui. D’une manière générale, si on parle peut-être de maison de justice, nous sommes les fondements de la justice. Nous soutenons toutes les parties dans ce processus. Le Bureau est neutre dans toutes les procédures. Les attentes souhaitées sont qu’il y ait un processus judiciaire juste et efficace.
Nous avons également un rôle spécifique : assister les victimes des crimes. Pour les victimes des actes criminels relevant de la compétence de la CPI, nous les assistons également. Nous les soutenons de plusieurs façons. Tout d’abord, nous leur fournissons des informations sur le travail de la Cour Pénale Internationale. Avec ces informations, elles ont le pouvoir d’accéder à la procédure judiciaire. On parle de l’accès à la justice, il faut avoir l’information.
Les victimes d’actes criminels peuvent être aussi des témoins, que ce soit pour l’accusation ou la défense. Elles peuvent être aussi représentées devant le tribunal en tant que victimes de crimes. Elles sont enregistrées et légalement représentées dans la salle d’audience. Leurs voix sont entendues et les intérêts sont défendus.
Vous avez parlé de l’assistance aux victimes. Est-ce que ces victimes bénéficient aussi de certains avantages, de l’assistance financière, psychologique ou matérielle ?
A mon bureau à Bangui, nous soutenons le travail du Fonds au profit des victimes. Un programme vient d’être lancé il y a deux mois. C’est un programme pilote d’assistance pour soutenir les victimes de crimes. Le Fonds est financé par le nombre des donateurs, notamment l’Union européenne, le Pays Bas, le Royaume uni, et la Suède. Il y a un autre programme après.
Le Fonds a mis en œuvre une assistance médicale, psychosociale, les activités génératrices de revenus. Il s’agit d’un programme d’assistance qui, selon les prévisions, aidera quelque 1 700 victimes de la criminalité – les victimes les plus vulnérables de la criminalité, et en mettant l’accent sur celles qui ont souffert du fléau de la violence sexuelle dans les conflits.
Et comment travaillez- vous avec les juridictions nationales à Bangui y compris la Cour pénale spéciale ?
Merci pour cette question. Parce que c’est une très bonne question. J’apprécie la manière dont vous avez lancé cette question. On me demande normalement quelle est la différence entre la CPI et la CPS. Pour moi, une telle question passe à côté de l’essentiel – parce que je crois que ce sont les choses que nous partageons qui nous rendent plus forts, et non les différences qui nous divisent.
Et donc, votre question me permet de me concentrer sur les aspects positifs et l’espoir qu’ils livrent. La CPS et la CPI sont tous deux des tribunaux indépendants qui apportent de l’espoir aux victimes d’actes criminels. Cet espoir et cette confiance dans les organisations judiciaires contribuent à assurer la cohésion sociale et la confiance dans l’État de droit.
Pour moi, l’espoir doit être que tous ceux qui travaillent dans la maison de la justice puissent faire leur travail d’une manière indépendante des événements extérieurs, indépendamment de la politique, ou de toute autre chose qui tente de changer le cours de la justice et de la vérité.
Donc, pour moi, avec la CPS, nous sommes frères et sœurs dans la justice. Nous vivons tous les deux dans la maison de la justice. C’est sous le même toit. Nous avons la même mission, les mêmes ambitions. Nous sommes tous les deux des Cours pénales. Nous sommes tous les deux des tribunaux indépendants.
Quand on parle de la Cour Pénale Internationale et de la Cour Pénale Spéciale, il faut parler tout simplement de la justice. Il faut penser qu’elles sont ensemble. En Centrafrique, vous avez deux parties très fortes : la CPI et la CPS qui travaillent toutes dans le processus de la justice.
Mais pourquoi la Cour Pénale Internationale s’intéresse tant au dossier centrafricain tout en sachant qu’il y a des tribunaux nationaux notamment la Cour Pénale Spéciale qui peut traiter les dossiers sur lesquels se penche la Cour Pénale Internationale ?
Pour moi, la République centrafricaine et sa population peuvent être fiers d’avoir inscrit dans les lois un mécanisme permettant, la mise en place de la Cour Pénale Spéciale, et d’avoir demandé à deux reprises à la Cour Pénale Internationale d’enquêter sur les évènements qui ont eu lieux dans ce pays. Je dois saluer les législateurs qui ont fondé aux victimes d’actes criminels un outil aussi puissant.
Pour moi, la question qui souvent, fait dire que la CPI est anti africain ou contre les Africains est bizarre, et cela donne un sentiment malformé. Et je me demande quelle en est la motivation. Cela peut-être des fake news, des fausses informations. Je pense que c’est très dangereux en matière de justice.
Peut-être que nous avons cette idée d’avoir la paix. C’est mieux de penser que la Cour Pénale Internationale n’est pas contre les Africains et Anti-Centrafricains. La CPI est pour la justice pour tous. Elle est en faveur des droits des victimes. Elle est indépendante et elle a la réticence d’être détournée de sa voie.
Nous sommes les cibles de quelques attaques contre le système judiciaire dans le cadre des sanctions. Et les sanctions, on doit les utiliser contre ceux qui sont des auteurs de crimes, pas contre une institution qui lutte contre les crimes.
En République centrafricaine, on se pose la question de savoir pourquoi la Cour Pénale Internationale ne cible que les leaders des Anti Balaka, alors qu’il y a aussi ceux de l’ex-Séléka qui sont libres de tout mouvement ?
C’est une question intéressante. Et c’est une question que nous écoutons souvent. Mais c’est évident, je le crois, que le système judiciaire va attaquer tous les auteurs de crimes. C’est impossible de trouver que la justice ne cible qu’un groupe, ou que la Cour Pénale Internationale ne cible que les leaders des anti-balakas. Jamais !
C’est simplement des personnes qui sont suspectées d’avoir commis les crimes. Pour procéder à l’arrestation, il faut un mandat, une opportunité et la volonté des parties qui coopèrent avec la CPI.
Lorsque ces trois éléments se sont réunis, les arrestations de MM. Ngaïssona et Yekatom Rombhot ont eu lieu. Si et quand ces trois éléments se combinent à nouveau dans le futur, il y aura d’autres arrestations. Il est tout simplement et peut-être délibérément trompeur, de suggérer quoi que ce soit à l’effet contraire.
Mais vous devez vous rappeler que MM. Yekatom et Ngaissona ont été arrêtés non pas parce qu’ils peuvent ou non être liés aux AntiBalaka, mais parce qu’ils ont été accusés d’avoir commis des crimes graves qui relèvent de la compétence de la CPI. Et dans un système de justice, quand quelqu’un est accusé d’avoir commis des crimes graves, il est juste que le système de justice soit autorisé à fonctionner.
Pour finir notre entretien, pensez-vous que l’accord de paix du 6 février 2019 signé entre le gouvernement centrafricain et les groupes armés ne constituerait pas un obstacle au processus de la justice ou au travail que fait la Cour Pénale Internationale en Centrafrique ?
Je pense que c’est important d’avoir une ligne rouge dans les affaires politiques et les affaires judiciaires. Mon aspiration c’est l’indépendance de laisser la justice prendre la route. C’est important de respecter chaque piste. Je pourrais interpréter les mots du père fondateur de la République centrafricaine, le président Barthélémy Boganda quand il a parlé de justice. Pour avoir une paix durable, il faut avoir non seulement la paix mais aussi la justice. Et avec les deux, le développement. Ils sont tous nécessaires, pas seulement l’un ou l’autre.