Le rapport du Secrétaire Général de l’ONU sur la république centrafricaine – 16 FÉVRIER 2021
Bangui 24 février 2021–(Ndjoni Sango): Le Secrétaire Général de l’ONU, Antonio Guterres, brosse la situation en République centrafricaine, en prélude à la réunion du Conseil de Sécurité ce jour mercredi 24 février. Il a abordé dans son rapport préliminaire, la situation politique, sécuritaire, humanitaire, économique et sociale en République centrafricaine. Ci-dessous l’intégralité de son rapport:
Par sa résolution 2552 (2020), le Conseil de sécurité a prorogé le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) jusqu’au 15 novembre 2021 et a demandé au Secrétaire général de faire rapport sur sa mise en œuvre tous les quatre mois. Le présent rapport fait le point sur les principaux événements survenus en République centrafricaine depuis le rapport du Secrétaire général en date du 12 octobre 2020 (S/2020/994). *
- Observations
- Le courage dont a fait preuve le peuple centrafricain, en patientant dans les files d’attente pour se rendre aux urnes le 27 décembre, est une source d’espoir pour la fragile démocratie du pays. Les citoyens qui n’ont pas été empêchés de se rendre aux urnes du fait de la privation de leurs droits ou de la violence se sont acquittés de leur devoir civique fondamental, parfois en payant un prix très élevé. Ce faisant, beaucoup ont bravé l’insécurité, la violence et les menaces. Je veux notamment rendre hommage aux femmes centrafricaines qui ont insisté pour contribuer au processus électoral malgré les obstacles systémiques et autres.
- Je condamne fermement les attaques contre les soldats de la paix qui sont constitutives de crimes de guerre pouvant être poursuivis devant des tribunaux nationaux ou internationaux. Je salue la mémoire des sept soldats de la paix qui, depuis le 25 décembre, ont payé le prix ultime et je demande aux autorités centrafricaines de mener des enquêtes approfondies pour faire en sorte que les responsables répondent de leurs actes. Je rends hommage au courage et au sacrifice de tous ceux qui continuent à intervenir au service de la paix malgré des conditions très difficiles. Ce courage et ce sacrifice collectifs pour aider à préserver l’ordre démocratique doivent être salués, et en premier lieu par les dirigeants centrafricains qui doivent faire preuve d’une même fermeté.
- La République centrafricaine se trouve à un moment critique qui déterminera si la paix et la stabilité pourront être restaurées sur des bases plus solides. Seule une solution politique permettra d’instaurer une paix et un développement durables, et seuls les dirigeants et le peuple centrafricains peuvent décider de la voie à suivre et s’y engager. Il est essentiel de déployer des efforts accrus pour mettre fin à la crise actuelle en engageant un vaste dialogue ouvert à tous et tenant compte des voix des femmes, des jeunes et des chefs religieux ainsi que par des initiatives de renforcement de la confiance, y compris en faisant en sorte que les auteurs de violences soient poursuivis, ainsi que leurs partisans et leurs complices. J’encourage tous les Centrafricains à s’engager sur la voie de la réconciliation et de la justice plutôt que sur celle de la vengeance. L’instauration et le maintien de la paix nécessiteront les efforts de tous au niveau national pour élargir l’espace politique, poursuivre les réformes institutionnelles et développer un sens commun de l’identité nationale qui reflète pleinement la riche diversité de la population. Je demande au président Touadéra de consolider son héritage en privilégiant la réconciliation nationale et le dialogue au cours de son deuxième mandat et en intensifiant les efforts déployés à cet égard.
- Je trouve encourageant que les élections présidentielles et le premier tour des élections législatives se soient tenus dans le respect des délais constitutionnels. Il était essentiel que les élections se déroulent en temps voulu pour préserver l’ordre constitutionnel dans le pays. Je demande à tous les responsables politiques de recourir à des moyens pacifiques pour résoudre leurs différends et de s’engager à instaurer un climat propice au déroulement rapide et pacifique de la suite des opérations électorales. Je me félicite du soutien politique et financier inestimable de la communauté internationale, et je l’invite à continuer de se montrer aussi généreuse pour les processus électoraux à venir.
- Je condamne la violence qui persiste depuis l’invalidation de la candidature de M. Bozizé à la présidence début décembre. Elle a eu un coût incalculable et inexcusable en termes de vies civiles et pour les institutions nationales, y compris dans des localités qui avaient réalisé des progrès importants vers la réconciliation et le rétablissement de l’autorité de l’État. Je suis également préoccupé par les graves répercussions humanitaires et économiques qu’entraîne la fermeture de routes d’approvisionnement essentielles par des groupes armés. Cette violence doit cesser immédiatement et tous ceux qui y contribuent devraient s’engager sur la voie du dialogue pour faire progresser le processus politique, préserver des acquis fragiles et répondre au souhait de la population qui aspire à une paix durable. Je salue la participation de la population centrafricaine dans toute sa diversité et le rôle des plates-formes religieuses et des organisations de la société civile qui ont appelé à la non-violence. Tous les efforts politiques doivent tendre vers la cohésion sociale.
- Le peuple de la République centrafricaine continue d’exiger que ceux qui ont commis des crimes graves et des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international soient traduits en justice. Je suis profondément préoccupé par l’augmentation des violations des droits de l’homme dues à la violence électorale, et je condamne fermement tous les auteurs de ces actes. En outre, les récentes attaques ciblées contre des prisons, provoquées par les violences électorales ont sapé les efforts faits pour renforcer la responsabilisation. J’invite les autorités nationales à redoubler d’efforts, par le truchement du système judiciaire, pour que les responsables rendent des comptes et pour faire progresser la lutte contre l’impunité de manière impartiale et indépendante. J’appelle les autorités nationales à dénoncer et à poursuivre en justice tous les auteurs de discours de haine et d’incitation à la violence, y compris contre la MINUSCA et ses partenaires, et à diriger le pays dans un esprit de réconciliation nationale afin de panser les plaies. À cet égard, j’accueille avec satisfaction les mesures supplémentaires prises pour mettre en place une commission vérité, justice, réparation et réconciliation.
- Même si le deuxième anniversaire de l’Accord politique a été entaché par des tensions et une instabilité au niveau politique, il ne fait pas de doute que des progrès importants ont été accomplis. Je trouve encourageant que les divers mécanismes de mise en œuvre de l’Accord aient fait la preuve de leur solidité, et qu’ils aient joué un rôle important pour faciliter la tenue des élections dans certaines parties du pays. J’invite le gouvernement à collaborer avec les groupes armés signataires pour relancer la mise en œuvre intégrale, efficace et rapide de l’Accord politique, seule voie viable pour résoudre la crise dans le pays, notamment en faisant le point sur les résultats obtenus et les difficultés rencontrées jusqu’à présent. J’invite en outre les parlementaires nouvellement élus à faire avancer les réformes politiques. J’accueille avec satisfaction l’initiative de dialogue du gouvernement qui a abouti à un pacte de réconciliation entre les communautés du nord-est.
- Pendant la période électorale tendue, des membres des forces de défense et de sécurité intérieure centrafricaines ont déserté leurs positions sous la pression d’éléments armés, ce qui a sapé la confiance que la population leur accordait. Ces événements ont mis en évidence l’importance des efforts que les autorités centrafricaines doivent encore faire pour garantir que les institutions nationales assument leur responsabilité première de protéger la population grâce à un processus de réforme efficace. Outre la volonté politique, il est indispensable de renforcer la gouvernance du secteur de la sécurité et la gestion des dépenses afin que les forces nationales de défense et de sécurité intérieure atteignent l’état de préparation nécessaire. J’invite les autorités nationales et les partenaires internationaux à tirer les leçons du processus de réforme en cours et à adapter en conséquence leur approche de la réforme du secteur de la sécurité. J’invite également les forces nationales de défense et de sécurité intérieure à respecter l’État de droit et les principes internationaux en matière de droits de l’homme, y compris pendant l’état d’urgence qui prévaut actuellement.
- La MINUSCA a apporté un soutien considérable pour défendre l’ordre démocratique et empêcher les groupes armés d’avancer vers Bangui, tout en protégeant les civils et les autorités de l’État dans de nombreuses régions du pays, assumant une part du fardeau plus importante que prévu. Le déploiement de troupes dans le cadre d’un accord bilatéral avec le Gouvernement a permis de faire face à la situation difficile en matière de sécurité. J’appelle les autorités nationales à poursuivre leurs efforts pour assurer une coordination étroite entre tous les partenaires en charge de la sécurité opérant dans le pays, y compris les troupes déployées au titre d’accords bilatéraux, afin de garantir la protection des soldats de la paix et de faciliter l’accès humanitaire.
- La violence électorale a encore aggravé la crise humanitaire prolongée dans le pays. Je suis préoccupé par les déplacements massifs de population qui en résultent et par les contraintes supplémentaires qui pèsent sur un approvisionnement alimentaire déjà fragile. Il est essentiel de privilégier une paix et des dividendes du développement durables lors des interventions locales en faveur du développement et des solutions durables pour les réfugiés et les personnes déplacées. Je condamne avec la plus grande fermeté les attaques qui se multiplient à l’encontre des travailleurs humanitaires et je rends hommage à tous ceux qui ont perdu la vie ou ont été blessés en apportant une assistance vitale à des millions de personnes. J’invite tous les donateurs à contribuer généreusement au plan de réponse humanitaire 2021. J’engage également toutes les parties à respecter les obligations que leur impose le droit international humanitaire et à garantir l’accès humanitaire.
- Les vulnérabilités préexistantes au sein de l’économie, désormais exacerbées par la COVID-19 et la détérioration de la situation en matière de sécurité, menacent les progrès réalisés grâce au plan national de réconciliation et de redressement. Pour favoriser le développement socioéconomique, il faut chercher à renforcer la résilience de l’économie et l’action menée pour permettre aux jeunes défavorisés d’accéder aux débouchés économiques. L’état des infrastructures du pays nécessite toujours des investissements importants et urgents. Je demande aux autorités nationales d’accorder la priorité aux besoins de la population en établissant le budget national et de continuer à renforcer les institutions et les mécanismes de gouvernance du pays pour s’attaquer aux problèmes structurels qui alimentent la violence, tels que la marginalisation, la discrimination, la corruption et le développement inégal. 103. Alors que la République centrafricaine se trouve à un tournant décisif, l’engagement continu de ses partenaires internationaux, en particulier ceux des pays de la région, reste essentiel pour maintenir la paix et la stabilité. La crise dans le pays est inextricablement liée à la dynamique de la région de l’Afrique centrale. J’appelle les dirigeants de cette région à employer tous les moyens à leur disposition pour redynamiser les mécanismes politiques et de sécurité conjoints, en particulier pour renforcer la sécurité aux frontières. Je me félicite de la nomination imminente d’un médiateur permanent de la CEEAC pour la République centrafricaine, ainsi que de l’engagement des chefs d’État et de gouvernement de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs.
- Comme indiqué plus haut, je recommande une augmentation de 2 750 militaires et 940 policiers, ce qui porterait les plafonds autorisés pour la MINUSCA à 14 400 et 3 020 respectivement. Ces renforts visent à accroître la capacité de la MINUSCA à s’acquitter des tâches prioritaires de son mandat compte tenu de l’évolution actuelle de la situation et à lui permettre d’améliorer sa capacité à empêcher toute nouvelle détérioration de la sécurité et à inverser la tendance tout en créant des conditions qui favorisent l’avancée du processus politique. Ces moyens accrus ne remplacent en aucun cas la responsabilité première des autorités nationales qui est de faire progresser le processus de paix et de protéger la population et ne constituent pas non plus une solution militaire aux défis actuels. Je recommande que le déploiement de ces renforts soit séquencé et basé sur des examens réguliers de l’évolution de la situation politique et de la sécurité, dans le cadre de mes rapports d’activité réguliers au Conseil de sécurité. Afin de garantir que le déploiement de ces effectifs aura un effet durable, il sera essentiel d’intégrer leurs résultats opérationnels dans les efforts stratégiques plus larges de la Mission.
- Pour terminer, je tiens à remercier chaleureusement mon Représentant spécial pour la République centrafricaine et Chef de la MINUSCA, Mankeur Ndiaye, pour le dévouement dont il fait montre dans la conduite des opérations. J’exprime également ma gratitude au personnel civil et en uniforme des Nations Unies pour leur détermination et leur engagement. Je remercie en outre tous les pays qui fournissent des contingents ou du personnel de police, les pays donateurs, les organisations régionales et multilatérales, les organisations non gouvernementales et tous les autres partenaires pour leur contribution inestimable à la paix et à la stabilité en République centrafricaine. Je tiens également à adresser mes remerciements aux garants de l’Accord politique, à l’Union africaine, à la CEEAC ainsi qu’aux partenaires régionaux pour leur engagement résolu et sans faille.