La présence française en Afrique: pour quel bilatéralisme enfin ?

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Komi ABALO, doctorant en cotutelle entre la France et le Canada

Par Komi ABALO

Bangui 20 mars –(Ndjoni Sango): Plus de soixante après les indépendances, les pays d’Afrique subsaharienne restent fortement marqués par la présence de la France. Que ce soit au niveau économique, politique ou social, cette présence permanente et diversement appréciée suscite des réflexions.

Dans l’une  de ses publications, Komi Abalo, Doctorant en cotutelle entre la France et le Canada, s’est également questionné sur le bilatéralisme entre la France et ses ex colonies d’Afrique subsaharienne.

La présence française en Afrique subsaharienne est très ancienne. Elle remonte à l’établissement des comptoirs commerciaux au cours de la période de la traite négrière transatlantique. Cependant, c’est dans les années 1880 que le projet colonial français en Afrique a pris forme, surtout dans les milieux républicains et dans quelques milieux économiques.

L’extension de l’Empire colonial français, à l’instar des autres empires coloniaux européens, ne fut pas le produit d’un plan établi dès le départ. Elle est plutôt le fruit d’un concours de circonstances, mêlant intérêts bien compris et universalisme des idéaux des Lumières.

L’idée coloniale ne devient populaire en France que pendant l’entre-deux-guerres. Malgré la similitude qui caractérise toutes les colonies, il existe une disparité dans l’évolution future entre les colonies britanniques et celles françaises, notamment d’Afrique subsaharienne. Du coup, l’inventivité qui a amené les africanistes vers la route de l’indépendance est à la fois une question de résilience et de résistance, certains voient des complots partout, d’autre nulle part. Il nous semblait essentiel d’interroger les continuités de ce passé.

Culture et social

Depuis le début de la période coloniale et jusqu’à la veille des indépendances, les métropoles européennes ont élaboré des rapports avec les peuples colonisés reposant sur l’assujettissement de ces derniers à leurs besoins économiques, politiques et stratégiques. L’économie africaine devint alors une économie de traite[1] à caractère dualiste « indigène » et « européen ».

Les rapports entretenus par la France avec ses colonies évoluèrent au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. En effet, avec l’avènement de l’ONU, dont la Charte préconise le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes d’une part, et face à l’émergence des mouvements nationalistes et syndicaux d’autre part, tous les administrateurs coloniaux ont été contraints de réviser leur approche.

Pendant les indépendances, Jacques Foccart et le général de Gaulle ont mis en place un certain système de relation avec les pays africains visant à permettre à la France de conserver une certaine marge d’intervention dans la gestion interne et externe de ces pays sur certains sujets.

Le constat depuis les indépendances témoigne – peut-être – d’un manque de volonté des pères de l’indépendance et des différents gouvernements successifs de faire avancer les choses d’un côté et surtout le serment de toujours protéger de gré ou de force la vieille école mise en place par Foccart et le général de Gaulle de l’autre côté.

Cette intrusion a eu pour corollaires le bouleversement économique, social et culturel, une division géopolitique et un assujettissement monétaire vis-à-vis de la France. Le transfert d’éléments de la civilisation européenne et la constitution d’unités politiques plus larges ont ouvert de nouvelles perspectives.

Les conséquences issues de ce déséquilibre sociétal perdurent dans nos différentes sociétés africaines à travers la perte parfois des valeurs culturelles et traditionnelle au profit des valeurs étrangères. Ces valeurs étrangères ne sont pas forcément négatives ; mais, elles peuvent aux fils des années porter atteinte à l’ordre préétablit.

Aujourd’hui, chacun veut porter un nom qui s’identifie aux réalités bibliques et coraniques au mépris de celui issu de son héritage culturel. Plus loin, la place qu’occupe les religions du livre importées (le Christianisme, l’Islam…) sont devenues avec le temps des religions exclusivistes vis-à-vis de celles endogènes qui les ont pourtant accueillies les bras ouverts.

L’Arabe n’est-il pas d’abord Arabe aussi bien dans le sang que dans l’âme, ainsi que le juif ? Quelle place accordons-nous aux religions du terroir dans les sociétés traditionnelles aujourd’hui ?

Les nouveaux pays émergents tels que la Chine, l’Inde et les pays du Golfes n’ont pas besoin du christianisme ni d’autres religions importées pour occuper leur rang mondial. L’Afrique ne peut être libre en étant chrétienne, musulmane, juive, tout sans être elle. La majorité des africains ne raisonnent plus « je peux » mais « si Dieu le veut ». Au même moment, sous d’autres cieux, les gens cherchent à s’offrir une place sur d’autres planètes. Le phénomène de la collusion religion-colonisation doit être redéfini pour éviter tout dérapage. 

Économie

Sur le plan économique, avant l’arrivée des « Thoubab[2] » en Afrique, il existait différents types de monnaies. Dans la zone Akan, la monnaie était constituée d’or en raison de l’importante quantité d’or présente dans ses sols. Dans la sous-région ouest africaine en particulier celle où se trouvent les actuels pays de la zone Franc CFA, la monnaie était constituée par les cauris[3] dont la valeur dépendait des coutumes du territoire dans lequel on l’employait avec des interprétations mythiques que chacun pouvait donner.

Avec la colonisation, les zones monétaires africaines ont été refondues de la manière suivante : la zone sterling pour l’Empire britannique, la zone franc belge pour l’Empire belge, la zone peseta pour l’Empire espagnol, la zone escudo pour l’Empire portugais et la zone franc pour l’empire français.

Après l’indépendance, les grandes puissances colonisatrices ont décidé de tourner la page de leur histoire en accordant non seulement l’indépendance politique, mais aussi celle économique à leur colonie. Une seule va continuer d’exercer sa tutelle économique sur ses anciennes possessions africaines : la France à travers le franc CFA.

Pour avoir la mainmise sur les ressources minières et maintenir la dépendance de ses ex-colonies, la France a non seulement introduit une monnaie afin de faciliter les échanges, mais elle a également facilité la multiplication des filiales et des sous-filiales financières des sociétés françaises. Certaines de ces entreprises françaises installées en Afrique durant l’entre-deux -guerres ont pu résister aux vents des indépendances et sont en majorité des sociétés écrans[4]

Les bénéfices générés sont rapatriés via Air France vers la France, sans aucun contrôle des pays africains. Le groupe Bolloré et la CFAO représentent les figures emblématiques de cette pratique en Afrique.

Tout comme le Lobbying aux USA, on assiste à la participation indirect et parfois direct de certaines sociétés étrangères aux cotés des partis au pouvoir pour maintenir des contrats peu profitables à la population africaine.

Aujourd’hui, le groupe Bolloré, une société française, a su montrer aux yeux du monde comment il opère en Afrique. Peut-être que les gens ont parfois raisons de dire que les ex-colonies françaises d’Afrique n’ont pas le contrôle de leur institution économique voire monétaire ; mais il faudrait savoir dans quelle mesure une monnaie participe au développement des populations.

La politique économique africaine devient de plus en plus fragile. Elle est à l’image des soldes en Occident : tant que les occidentaux n’ont pas sifflé la fin de la partie, les prix des matières premières resteront au statu quo ou continueront de chuter. L’Afrique n’a pas besoin d’argent ni de l’aide de l’Occident, l’Afrique a juste besoin de transfert de technologie. Pour fabriquer de l’engrais, nous avons besoin de phosphate du Togo par exemple avec des gens capables d’assumer la bonne gestion. L’important n’est pas de créer une monnaie. L’essentiel est de créer un panier de devises qui va avec et s’assurer de la garantie dans un pays comme le nôtre. On peut également s’assurer qu’elle réponde au critère d’un régime de change flexible plutôt qu’un régime de change fixe dont la France est la maitresse du jeu. La monnaie crée la demande et si l’appareil productif ne répond pas on crée l’inflation[5] ; c’est ce qui a amené des problèmes d’une part au niveau de la zone CFA où une politique de dévaluation a été élaborée pour les surmonter.

L’Afrique francophone doit sortir de la structure coloniale pour se projeter dans la réalisation de ses projets de développement ; sans quoi, elle sera toujours une vache à lait pour l’Occident. La métaphore traduit l’idée selon laquelle l’insécurité grandissante dans de nombreux pays d’Afrique est soit liée aux ressources naturelles et minières que possèdent ces pays ou par la corruption de certains dirigeants africains en complicité avec quelques véreux légalistes occidentaux. On se rend compte en quel point la question monétaire des ex-colonies françaises d’Afrique est purement et simplement politique.

Ainsi, on constate que le fait de posséder de l’or noir dans son sous-sol en Afrique est synonyme de malheur. L’exemple le plus récent avec la Libye de Kadhafi laisse à penser qu’aucun pays de la sous-région n’est à l’abri tant que certaines grandes puissances doivent assoupir leur désire en matières premières. Croyant résoudre la crise politique en Libye, les grandes puissances ont semé un désordre puis ont laissé ce pays à son sort, qui paie les factures ?  

L’Union Africaine (U.A) a-t-elle participé à la grande décision d’annexion de ce pays ? Devons-nous continuer de nous accrocher au système français quand on sait que ce système devient de plus en plus obsolète ou encore que la crise financière française tant à ressembler aux pesos argentin après la Grande Crise ?

Comment peut-on réellement amorcer un développement économique digne de ce nom sans une véritable mainmise sur les ressources naturelles et surtout une maîtrise de sa politique monétaire ?

L’Afrique se retrouve dans une impasse où sa situation économique devient de plus en plus précaire. Les pays de la zone franc sont tenus de créditer leur compte d’opération auprès du Trésor public français pour garantir la convertibilité de leur monnaie dans d’autres devises (Euro, Dollars, Yuan…). L’Eco[6] tant attendu, qui serait le socle d’un nouveau départ, n’a toujours pas vu le jour.

Politique

La gestion des nouveaux États était devenue un défi auquel doivent faire face toutes les forces antagonistes (anti et pro-français d’un côté, les syndicats et autres mouvements de l’autre) qui ont conduit les luttes pour l’indépendance. Il convient tout d’abord de rappeler le contexte de célébration de l’indépendance elle-même entre 1958 et 1960, ainsi que les dates d’indépendance de chaque pays francophone d’Afrique subsaharienne.

Toutefois, les mouvements de décolonisation et la balkanisation des peuples africains suite à la gestion des territoires par les métropoles aux temps des colonies, ont réussi à arracher une partie de leur souveraineté à la France qui doit dorénavant définir de nouvelles formes de collaboration.

Les leaders africains de l’époque ont cru à la renaissance totale de l’Afrique après les indépendances politiques mais le sort réservé à leur peuple était beaucoup plus inattendu, d’abord en raison de la dépendance économie vis-à-vis de la France en matière monétaire, ensuite la dévaluation du franc CFA et enfin le néocolonialisme. L’opération « persil [7]» dont a été victime la Guinée de Sékou Touré peut être considéré une sorte de mise en garde pour empêcher les autres pays africains de rompre le cordon ombilical les liant à la France.

L’une des conséquences après la dévaluation est l’augmentation fiscale pour combler le déficit causé par la dévaluation. D’aucuns pensent que la France a conduit la population à la crise : imprimer des monnaies voire des fausses pour des organismes a ainsi fini par engendrer une crise financière.  Ces monnaies ont servi aux dépenses hors normes, ainsi, avec la loi de la demande les prix des produits ont augmenté, ce qui donne une dépréciation de la monnaie d’où la dévaluation.

Pour d’autres encore, l’Afrique aurait pu mieux évoluer sans la coopération avec la France qui cherche à privilégier ses intérêts au détriment de ceux des pays africains. Pour le commun des occidentaux, l’Afrique a bénéficié et continue de bénéficier de la coopération, d’autres vont jusqu’à affirmer que la France peut se prévaloir que sa colonisation a été une réussite.

Cependant, doit-on se réjouir d’une telle relation entre la France et ses ex-colonies d’Afrique si nous la comparons à la relation qu’entretient la Grande-Bretagne avec ses ex-colonies d’Afrique ?

Komi ABALO, doctorant en cotutelle entre la France et le Canada

Mail : thierryaffanoukoe@gmail.com

Tél : (00228) 92 42 51 78 / 97 85 10 60 : Pour vos reportages, annonces et publicités, contacter le service commercial de votre site Gapola.  

[1] Le mécanisme de cette forme d’économie est de pousser les ex-colonies à produire les cultures agricoles qui seront exportées vers la métropole afin d’importer en retour des biens consommables et autres produits manufacturés finis.

[2] Thoubab est un terme pour désigner toute personne à peau blanche, à l’exclusion des Arabo-Berbères quelle que soit sa nationalité.

[3] Les cauris étaient l’une des devises les plus répandues au monde en particulier en Afrique de l’Ouest.

[4] Une société écran est une société qui exerce de manière officieuse des activités différentes de celles qu’elle déclare exercer officiellement.

[5] Quand la monnaie se déprécie due parfois à la mauvaise gestion.

[6] L’Eco est le nom d’un projet de monnaie unique des quinze pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO).

[7] C’est une opération qui a consisté à introduire en Guinée une grande quantité de faux billet après que Sékou Touré ait refusé la coopération de 1958 proposée par le général de Gaulle pour mettre sur pieds sa propre monnaie. 

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Jean-Marie Six
Jean-Marie Six
3 années il y a

Dans ce vaste panorama fort bien documenté, on oublie le rôle joué par les ONG. On oublie la nécessité pour les pays de l’Afrique subsaharienne de se soustraire à la présence pesante des ONG. L’assistanat perpétuel n’est plus vraiment de l’humanitaire désintéressé. On peut aussi observer vu du côté de l’ancienne puissance coloniale (qui est le mien) que cet assistanat forcé coûte fort cher au budget public de la France, par le truchement du mécanisme de la déduction fiscale dont usent et abusent certains faux bénévoles en quête d’exotisme, pas forcément compétents.. À mon avis, seule la présence temporaire d’ONG… Lire la suite »

Dernière modification le 3 années il y a par Jean-Marie Six
OLOUGBEGNON Dossou Ogoutchina
OLOUGBEGNON Dossou Ogoutchina
2 années il y a
Répondre à  Jean-Marie Six

Certaines de vos positions qui mettent au premier plan la générosité de la France m’embarrassent. D’où cette tendre France si généreuse tient-elle ses ressources ? Du pillage multiforme des populations africaines. D’ailleurs, les aides ont-elles déjà contribué à développer quelle nation? Que serait la France sans l’Afrique ? Et c’est justement l’échec de la France ( qui s’est gavée de tout temps sur le dos des africains) qui favorise aujourd’hui le choix d’autres partenaires par les États africains. Pour votre gouverne, l’histoire est la science d’un passé qui ne passe pas, sinon pourquoi la France continuer t-elle de commémorer le… Lire la suite »

Jean-Marie Six
Jean-Marie Six
3 années il y a

Autre avis personnel : l’histoire des colonies appartient à l’histoire.
Les discours de repentance à la mode en France pour des raisons bassement électorales, ne font rien avancer dans la volonté partagée d’instaurer un partenariat économique loyal et équilibré. Gagnant-gagnant pour reprendre une autre expression à la mode.