Ndjoni-Sango (Bangui 18/08/16) :
Par Eric NGABA
Le président Parti de l’Unité et de la Reconstruction (PUR) Eddy Symphorien Kparékouti estime qu’il est temps de passer aux actions concretes pour soulager la souffrance de la population tant meurtrie par l’insécurité qui prévaut en Centrafrique. Voici l’entretien avec le leader politique centrafricain sur la situation sécuritaire dans le pays.
Ndjoni Sango (NS) : Le 13 aout dernier, une colonne de l’ex-Séléka voulant rejoindre Kaga-Bandoro, a été stoppée à Sibut par la Minusca qui a arrêté certains leaders sous mandat d’arrêt. Mais depuis, il ya des polémiques entre le gouvernement et la mission onusienne sur l’identité des chefs rebelles arrêtés. Que vous inspire le tournant qu’est en train de prendre cette histoire.
ESK : je vous remercie pour cette opportunité qui va certainement nous permettre de prendre position sur des questions d’intérêt national. Au sortir des élections générales de janvier-février 2016, l’ensemble des forces vives de la nation, avaient posé la sécurité comme la priorité, le préalable à toute autre vision politico-sociale. C’est ainsi que chaque fois que j’apporte la question sécuritaire, je le fais avec un certain pincement au cœur surtout lorsque des évènements comme ceux du 13 aout que vous rappelez, viennent créer le doute sinon fragiliser le semblant de retour à la normale que nous tentons d’amorcer.
Le Parti de l’Unité et de la Reconstruction (PUR) et moi-même, regrettons que certains leaders, après plusieurs années de souffrance subies par le peuple, continuent par leur agissement de menacer la paix, cette paix derrière laquelle le peuple courre depuis des mois aujourd’hui. Je pense que ce qui s’est passé depuis le 13 aout est regrettable et il prouve que nous, Centrafricains, n’arrivons pas encore à mettre la main sur le levier de la paix. Je dois dire qu’il est inadmissible qu’une colonne d’hommes armés, sinon lourdement armés puisse traverser toute la ville de Bangui sans être inquiétés pour se faire arrêter puis libérer dans les environs de Sibut. Il ya de sérieux efforts à faire dans le domaine des renseignements et surtout de riposte au niveau de l’Etat. Je n’ai pas compris, d’ailleurs je ne peux comprendre que la Minusca face à des gens qui constituent une menace évidente pour la paix, essaient de négocier. Dans l’affaire d’arrestation des chefs rebelles, il ya eu faille partout et les responsabilités doivent être établies pour que le peuple ait une idée claire sur la question.
Le ministre de la sécurité publique a justement exigé de la Minusca des explications voire l’ouverture d’une enquête parlementaire ?
ESK : Une demande d’explication ne suffit pas face à la gravité de ce qui s’est passé. Vous savez, l’Etat capable et protecteur n’existe pas encore en RCA même si nous avons des institutions sorties des élections. Notre Etat n’a aucune capacité opérationnelle, puis qu’il n’a pas la force que lui reconnait la loi fondamentale. Ce qui est regrettable, c’est que la Minusca qui est dotée de moyens de répression et de coercition n’apporte pas l’aide qu’il faut au moment qu’il faut pour sauver le retour de la paix.
Autant je soutiens la demande d’explication exigée de la Minusca par Jean Serge Bokassa, autant j’affirme que la demande est insuffisante. Je pense qu’il faut des stratégies pour contourner les obstacles et non des stratégies simplistes et théoriques pour accepter les obstacles. Il faut que nous sortions de l’attentiste légendaire qui a marqué l’Etat centrafricain, ces cinq dernières années.
Si nous voulons reconstituer notre Etat, il faut des sacrifices, des stratégies de contournement qui nous permettent de prendre des initiatives au nom de l’intérêt centrafricain. Ce que nous ignorons en Centrafrique, c’est que même ceux qui viennent officiellement nous soutenir avec un budget robuste, défendent un intérêt généralement caché mais orienté en faveur de certains membres influents Nations Unies. Cette Minusca a sa ligne, sa politique voire ses intérêts qui ne sont pas forcément ceux de la RCA. Aujourd’hui, le devoir républicain et patriotique interpelle non seulement les nouvelles autorités mais aussi le peuple car si nous laissons le navire au seul soin des institutions démocratiques, nous risquons de connaitre pire.
L’affaire Jean Francis Bozizé a été appréciée diversement par l’opinion nationale et internationale. Mais aucune réaction de la part des partis politiques. Quelle est donc la position du PUR ?
ESK : Je ne pense pas qu’il n’ya eu aucune réaction de la part des politiques centrafricains sur l’affaire Jean Francis Bozizé. Pour revenir à votre question, Jean Francis Bozizé a été arrêté suite à un mandat d’arrêt lancé contre lui en mai 2014. Son arrestation le 05 aout 2016, pour nous, n’est pas un sujet de débat politique encore moins une occasion de polémiquer. Jean Francis Bozizé est réclamé par la justice de son pays pour répondre des faits qu’elle lui reproche. Ce n’est ni une fin en soi, ni une condamnation.
Je pense qu’il n’ya pas en démocratie une démarche aussi légale que celle là. Au PUR, on ne fait jamais obstruction à la justice mais on se met toujours du coté de la justice parce que c’est aujourd’hui, l’un des piliers pour la renaissance de la RCA. L’affaire Jean Francis Bozizé étant pendante devant la justice, nous ne saurons épiloguer là dessus par peur d’influencer involontairement le dossier que nous suivons avec intérêt parce qu’il constitue signal fort à l’égard des tortionnaires du peuple et de la République.
Le PUR a plaidé pour un grand dialogue mais l’on apprend qu’il va avoir dans les prochains jours un remaniement du Gouvernement. Croyez-vous que le Président écoute toujours les propositions de ses alliés dont le PUR ?
ESK : Le remaniement du gouvernement dépend du chef de l’Etat que nous savons assez lucide pour prendre les décisions averties au moment approprié pour le bien de la République. De manière officielle, le président Faustin Archange Touadéra n’a pas encore annoncé un quelconque remaniement. Ceci étant, au PUR, aller au gouvernement n’est nullement une obsession. Vous comprenez qu’un remaniement ne saurait être pour nous un sujet de réflexion.
Mais, le PUR face à la réalité politique et aux signaux que nous sont régulièrement renvoyés, a proposé un dialogue permanent parce qu’il juge que la RCA n’a pas aujourd’hui besoin des fora temporaires qui, en réalité ne sont souvent que des opportunités idéales pour certains. Les nouvelles autorités doivent écouter, discuter avec toutes les forces vives de la nation chaque fois que des questions sensibles touchant à l’intérêt public se posent. C’est ce que nous appelons au PUR le dialogue permanent. Comme je l’ai dit dans des interviews antérieures, nous sommes embarqués dans la transition du peuple avec les dernières élections. Alors, il faut la contribution de tous pour réussir cette transition qui doit permettre de reposer les bases d’un Etat capable et protecteur, les fondements d’un Etat normal, dirais-je.
Etes-vous de ceux qui pensent qu’il faut une vraie et réelle opposition pour éviter au Président une dérive ?
ESK : Nous sommes en démocratie et c’est d’ailleurs pour cela que nous sommes allés aux élections. La démocratie comme vous le savez, a ses principes de fonctionnement et ce n’est pas le PUR qui va remettre en cause ces principes parce que le parti a fait un choix politique de soutenir un candidat qui a conquis le pouvoir de l’Etat et qui le gère aujourd’hui en Centrafrique.
Le PUR pense que l’existence de l’opposition est un impératif de la démocratie et qu’il n’ya pas de raison qui pourrait justifier l’absence d’un maillon aussi important qu’est l’opposition. Le président de la République, élu sur la base d’un programme politique, va devoir dérouler son programme mais, il faut des gens qui ont une autre vision de l’avenir centrafricain pour apporter une autre approche pour stimuler un développement consistant. Je souhaite cela pour la nouvelle République car le développement de l’avenir sort toujours des contradictions et des échanges conditionnés par l’existence à la fois d’une majorité qui dirige et d’une opposition et prend position. C’est pour cela qu’on ne parle de démocratie que lorsqu’il ya une majorité et un contre-pouvoir, c’est-à-dire l’opposition.
On dit que la Séléka est en train de se regrouper dans l’arrière-pays et que le mois de Septembre prochain sera chaud comme l’année dernière avec les incendies de maisons et les pertes en vies humaines. Faut-il croiser les bras pour attendre impuissamment l’avènement de ce chaos ?
ESK : Dans un pays où les groupes armés poussent comme des champignons, le danger est toujours permanent. C’est malheureusement le cas de la République Centrafricaine, notre pays. Je pense que si le danger est permanent, eh bien, nous devons être sur nos gardes de manière permanente sans négliger quoi que ce soit. Je ne pense pas que tous les mouvements armés signalés à travers le pays depuis le mois de mars, ne soient une simple promenade ou des défilés gratuits. La colonne stoppée le 13 aout dernier, n’était pas en voyage touristique.
Il ya, derrière tout cela, des intentions réelles et inavouées qui méritent d’être décodées et contrecarrer. C’est pourquoi, en commençant par les autorités jusqu’au plus petit citoyen, il faut une vigilance accrue, une étroite collaboration pour déjouer ces plans machiavéliques dont l’objectif, est à terme, d’enterrer la République qui d’ailleurs peine à se relever, faute de ceux qui continuent de manigancer encore aujourd’hui.
Le mandat de la MINUSCA a été prolongé jusqu’en 2017 et l’embargo sur les armes y compris. Etes-vous choqué ?
ESK : La prorogation du mandat de la Minusca était attendue. Je pense que cette décision se justifie puis que les réalités sur le terrain penchent du coté de cette prorogation. Même si certains agissements de la Minusca prêtent à confusion et aux critiques, je pense que la République Centrafricaine a encore besoin de l’accompagnement de la communauté internationale à travers cette mission. Toutefois, nous sommes en droit d’exiger de la Minusca le respect des termes des résolutions qui justifient sa présence en Centrafrique. Il est établi que la Minusca est en terre centrafricaine pour accompagner les autorités et non les remplacer alors que nous restions dans le cadre de cet accompagnement.
Je pense qu’il est important que la Minusca révise son approche de la situation et agisse pour l’intérêt du peuple qui continue de souffrir. Le gouvernement et la Minusca doivent passer de la haute théorie à la pratique réaliste et agissante pour éviter le pire en Centrafrique. La Minusca doit cesser de faire la leçon de morale et se présenter en entité qui maîtrise tout et connait tout. Aussi, malgré le manque de moyen, nos autorités sont tenues de se constituer en force de proposition et d’action face à la Minusca. C’est en étant une réelle force de proposition que nous pouvons attaquer la question de l’embargo qui, comme je l’ai rappelé dernièrement, exige de l’Etat centrafricain des stratégies étudiées, orientées que nous ne saurons présenter sur la place publique.
Aujourd’hui, l’Etat est bloqué par l’embargo tandis que les groupes rebelles qui utilisent tous les jours les armes, sont fournis. Alors d’où viennent ces armes et munitions qui ne finissent jamais. Il faut étudier cela et peut être envisagé des solutions à partir de là.
La CEMAC a de nouveau octroyé des fonds pour le processus DDRR, croyez-vous que les choses vont marcher cette fois-ci ?
ESK : L’aide de la CEMAC pour le DDRR envisagé par le président de la République, est à saluer à sa juste valeur. La RCA en a besoin pour se remettre sur les railles. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la première chose à faire, est de douter de la gestion des fonds alloués pour le DDRR. Je sais et je pense que l’histoire récente de la gestion du DDR en Centrafrique (celui de 2008) nous impose de sérieuses réserves mais, à l’état actuel, je ne peux douter de la bonne volonté des autorités à corriger les erreurs de 2008 pour réussir le DDRR.
Je pense que le président de la République sache que la réussite de son quinquennat dépend de l’aboutissement du programme DDRR. Il est aussi celui qui comprend aisément que le moindre faux pas peut être fatal. A travers le DDRR, nous jouons notre avenir, raison de plus de ne pas s’amuser avec ce processus comme par le passé. Mais cette confiance n’est pas un cheque à blanc car nous allons rester vigilant, attentif et réactif à chaque étape du processus pour voir ce qui se fait afin d’alerter sur l’évolution des opérations pour éviter tout autre échec qui sonnerait à coup sûr comme l’échec national avec la conséquence qu’on ne saurait imaginer.
Monsieur le président du PUR, merci.
ESK : C’est à moi de vous remercier
Propos recueillis par Eric NGABA