La femme dans le conflit en RCA : les stigmates de la délaissée

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Centrafrique-Veuve-Ndjoni-Sango
Une femme violée, image d'illustration

Par Max-Landry KASSAÏ

Bangui 10 juin 2022—(Ndjoni Sango) : Depuis plus de trois décennies, des femmes et des enfants (filles) subissent des violences d’une gravité sans pareille dans les conflits en RCA. Le conflit de 2013 avec l’avènement de la Séléka et l’irruption des Antibalaka, a malheureusement amplifié la situation de la femme centrafricaine  (esclave sexuelle, combattante, porteur, domestique, bouclier humain…).

L’organisation mondiale de la santé définit la violence sexuelle comme «  tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigé contre la sexualité d’une personne en utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s’y limiter, le foyer et le travail ». Bien que large, cette définition  dégage les éléments essentiels pouvant constituer une violence sexuelle, le manque de consentement de la victime, l’utilisation de la force ou des menaces, le lieu ou le rapport entre la victime et l’auteur de l’acte.

La typologie des violences sexuelles regroupe le viol, l’esclavage sexuel, l’agression sexuelle, la prostitution forcée, le mariage forcé, le harcèlement sexuel, la grossesse et stérilisation forcée, ainsi que les mutilations génitales.

Les violences sexuelles concernent toutes les personnes, tous les sexes. Mais cet article traitera uniquement des violences sexuelles contre la femme dans le conflit en RCA.

La situation de la femme dans le conflit en RCA

La situation de la femme centrafricaine est très critique dans la crise militaro-politique qui perdure dans le pays. Cela est venu amplifier une culture bien enracinée, celle du patriarcat, qui est un système de domination des hommes et de privation  de la femme d’un certain nombre de privilèges voire de  droits  (1), avec  des conséquences qui peuvent souvent être irréparables qu’elle va  porter toute sa vie (2).

Les causes de sa vulnérabilité

La première cause de la vulnérabilité de la femme centrafricaine liée au conflit est le poids du patriarcat. Les conflits ne viennent jamais effacer des habitudes bien ancrées, ils viennent au contraire les corser ou les aggraver.

La femme a été très longtemps traitée en RCA  comme un  être inférieur, faible, ayant sa place uniquement au  foyer ; elle n’a de vocation qu’à faire des enfants et à se rendre utile au champ. Elle était  privée de droit de prendre la parole, même dans de moindres circonstances, en lui collant  de ce fait, un statut d’être inférieur à l’homme qui, par conséquent, ne peut occuper les mêmes fonctions que lui.

Notre société a été marquée par de fortes inégalités entre les hommes et les femmes, lesquelles inégalités sont entretenues par nos cultures, nos croyances, très erronées. Aussi, des concepts et des stéréotypes très négatifs vis- à vis de la femme bornent nos pensées : la femme est un sexe faible ; la femme ne peut pas faire mieux que l’homme.

En plus  de ces considérations, les conflits deviennent un terrain propice de l’expression des violences sexuelles. La crise de 2013 a explosé les cas de violences sexuelles. On estime à plus de 2281 le nombre recensé de cas  de violences sexuelles en 2020, contre 3054 en 2019, selon  le GBVIMS (Gender-based violence information management system).

Le rapport du Secrétaire Général de l’ONU établi en application du paragraphe 22 de la résolution 2121(2013)  des Nations-Unies, le 15 novembre 2013, sur la situation en Centrafrique, avait fait état de  « violations généralisées contre les civils, notamment des exécutions sommaires, des violences sexuelles ou sexistes, des cas de torture, des arrestations et des détentions illégales, le pillage de biens, des postes de contrôle illégaux et des cas d’extorsion. Les femmes et les enfants continuent d’être particulièrement touchés, les informations faisant état de violences sexuelles généralisées commises dans un climat d’impunité totale ».

Or bien avant cela, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies avait constaté, selon les termes de sa résolution 1325, que la grande majorité de ceux qui subissent les effets préjudiciables des conflits armés, y compris les réfugiés et les déplacés, sont des civils, en particulier des femmes et des enfants, et que les combattants et les éléments armés les prennent de plus en plus souvent pour cible.

Ainsi, au cours de cette crise militaro-politique qui a débuté en 2013, des milliers de femmes et d’enfants ont été victimes de graves violations du Droit international des droits de l’homme, du Droit international humanitaire et des dispositions du Statut de Rome ayant créé la CPI,  y compris les violences sexuelles.

Les milices armées, les ex Séléka et Antibalaka, continuent de perpétrer les violences à l’endroit des femmes et des enfants dans les villages, les villes provinces et même dans la capitale Bangui. Ses femmes et enfants sont soit kidnappées, arrêtées sur le chemin des champs, de l’école, des rivières, soit enrôlées de force lors d’une attaque contre leur localité. Elles vont être séparées de leur famille, violées, humiliées et transposées en esclaves sexuelles, en domestiques, en combattantes, en porteurs ou en boucliers humains.

Ce sont de graves atteintes aux droits inhérents et fondamentaux de la personne  humaine, notamment le droit à l’intégrité physique de la personne, le droit à la vie, la non soumission à la torture et à tout autre traitement inhumain et dégradant, proscrits par les quatre conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles Additionnels  de 1977.

A cet effet, l’article 3 alinéa 1 (a)  de ces conventions mentionne que sont et demeurent prohibées, en tout temps et en tout lieu, « Les atteintes portées à la vie et l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ». Mais, les violences sexuelles sont devenues une monnaie courante en RCA, en dépit du déploiement de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations-Unies pour la Stabilisation en Centrafrique, comme force subsidiaire de protection des civils et de restauration de l’autorité de l’Etat.

Les sites des déplacés n’accordent pas une protection efficace aux femmes et aux  filles qui y sont souvent violées ou abusées, en contrepartie de minables sommes d’argent, de nourritures et autres objets insignifiants. En cela, le texte de la Résolution 2147 (2014), ayant autorisé le déploiement de la MINUSCA a réitéré la crainte du Conseil de Sécurité des Nations-Unies,  demeuré gravement préoccupé par les multiples violations du droit international humanitaire et les violations généralisées des droits de l’homme, notamment les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les arrestations et détentions arbitraires, les actes de torture, les violences sexuelles sur la personne de femmes et d’enfants, les viols, le recrutement et l’emploi d’enfants, les attaques dirigées contre des civils.

Les Conséquences des violences sexuelles

Les violences sexuelles ne sont pas sans conséquences. Certaines de ces conséquences sont irréparables, voire mortelles. Que ce soit le viol ou les autres types de violences, ils font subir de lourdes conséquences, humiliation, déconstruction morale, déconstruction physique, le rejet de la famille, de la communauté.

Dans le cadre de la déconstruction physique apparait souvent la contraction des maladies vénériennes, notamment le VIH Sida, les hépatites B et C dont la plus part ne peuvent être guéries. Aussi, les cas de viol organisé peuvent provoquer  de graves lésions au niveau des  organes génitaux de la femme ou peuvent les abimer, dont la reconstruction posera problème.

Les conséquences des violences sexuelles sont de deux ordres : les conséquences mortelles et les conséquences non mortelles, comprenant chacune des particularités. Les conséquences mortelles comprennent les meurtres, les assassinats et les suicides. Alors que les conséquences non mortelles comprennent entre autres, les conséquences physiques englobant les problèmes gynécologiques, les handicaps et blessures, le VIH et les IST, ainsi que les conséquences psychologiques comprenant la dépression, la perte de l’estime de soi, le stress post-traumatique.

On regroupe dans les autres conséquences liées aux violences sexuelles, la pauvreté, l’isolement et les grossesses non désirées. Les caractéristiques et les conséquences de ces violences sexuelles sont les mêmes au temps de paix qu’au temps de conflit.

C’est difficile pour une femme qui  sort d’un cas de violence sexuelle de reconstruire aisement sa vie. Elle fera face à une double situation, sa capacité à se remettre de ses traumatismes et l’acquisition des moyens nécessaires pour sa survie et sa réintégration sociale.

Lors de cette récente crise, des milliers de femmes et de  jeunes filles victimes de violences sexuelles se retrouvent complètement désemparées, avec l’une ou l’autre des conséquences que nous avons évoquées. Leurs témoignages font couler les larmes et nous laissent entrevoir la gravité du phénomène, la cruauté manifeste d’un certain nombre d’individus.

C’est un problème qui est plus général en RCA, des femmes, des filles, des hommes subissent des violences partout, que ce soit dans les lieux de détention (les gardiens abusent des détenus sans en être inquiétés), à l’école, à l’église, dans l’armée et dans les forces de sécurité, dans les arts et la musique  ( les autorités abusent de leur pouvoir, usent de force et de menaces pour des faveurs sexuelles…) rien en est excepté. Sans contredit, c’est la plus grande maladie du siècle, les violences sexuelles. Elle n’est cependant pas une nouveauté, car historiquement, le viol de guerre apparait très longtemps avant 90.

La prévention et la répression des VS

Le droit  des violences sexuelles est à la fois un droit national et international. Mais cela va au-delà de l’aspect du droit (juridique et culturel). La première réponse à ce problème doit se trouver dans le comportement des hommes qui doivent prendre conscience de la gravité de la chose et changer de mentalité. Il faut mettre en place des stratégies et des politiques pour contrer ce phénomène (1), lesquelles doivent être accompagnées des mesures coercitives, punitives pour en dissuader les autres auteurs (2).

Stratégies et politiques nationales de prévention des violences sexuelles

La République centrafricaine avec l’appui des partenaires notamment le CICR, l’ONU Femmes, l’Institut français pour la Justice et la Démocratie (IFJD) travaillent en étroite collaboration sur les questions de violences sexuelles et les violences basées sur le genre. Ces organismes reçoivent également le soutien de l’Union Européenne et d’autres institutions internationales qui militent en faveur de l’égalité des sexes.

Pour ce faire, on a assisté à une démultiplication des sensibilisations et mobilisations sur les questions de violences sexuelles, soit à Bangui, soit dans les provinces. Les médias y sont aussi impliqués, avec la diffusion des sketchs, des bandes dessinées et des représentations théâtrales, pour la sensibilisation  et l’éducation des citoyens.

Des associations des victimes de violences sexuelles se créent partout et qui reçoivent l’appui de  l’Association des Femmes Juristes de Centrafrique (AFJC). Cependant, il faut savoir que les violences sexuelles sont d’abord le fruit des inégalités existantes entre les femmes et les hommes dans notre société, fondées sur la relation de domination des hommes envers les femmes, ainsi qu’une culture qui favorise les violences ou cautionne les comportements individuels.

Il faut chercher premièrement à supprimer ou bien réduire ces inégalités, par des politiques d’équité et d’égalité, pour arriver à compenser les inégalités.  En cela, la loi n° 16.0004 de 2016 instituant la parité entre les hommes et les femmes en République centrafricaine, a instauré un quota de 35% en faveur des femmes comme mesures d’équité, à travers « les emplois publics, parapublics et privés, ainsi que les instances de prise de décisions en République Centrafricaine ».

La mise en application de ces textes pose problème, en raison d’une part de la volonté politique d’intégrer effectivement la parité, et d’autre part, à cause des pesanteurs sociales non négligeables. La mise en avant de la masculinité positive peut aider à transformer notre société, à créer un équilibre entre les sexes. Mais, cela ne peut éteindre l’action de la justice, très indispensable pour les victimes.

Sanctions pénales garanties de non répétition

Les victimes de violences sexuelles ont droit à la justice. C’est aussi une manière de leur reconnaitre ce statut, qui doit leur permettre de se reconstituer, au sortir des réparations  issues de l’action judiciaire. Avant tout, les victimes de violences sexuelles doivent être traitées avec humanité et protégées contre les possibles représailles de leurs bourreaux. De ce fait, la confidentialité dans l’identification, la sélection et le traitement des dossiers des victimes doit être la plus grande arme de protection.

La répression des violences sexuelles par le droit pénal centrafricain  est évolutive mais pose le problème de son efficacité. Ce sont des actes qui posent de problèmes graves pour la victime. Aussi, la réparation n’est jamais à la hauteur du préjudice subi par la victime. Par exemple, une femme violée puis répudiée par son mari aura de la difficulté à se marier, elle sera rejetée.

L’action de l’UMIRR est très déterminante dans la répression des violences sexuelles en RCA mais demeure cependant très limitée. Sa capacité de réponse t ses moyens doivent être renforcés par l’Etat.

Concernant le cas d’un viol, le code pénal centrafricain prévoit à ses articles 87 et suivants, des peines de travaux forcés à temps. Mais, au titre de l’article 88, le viol peut être puni de peine de mort lorsqu’il a entraîné le décès de la victime ou s’il a été précédé, accompagné ou suivi d’enlèvement, de tortures ou d’actes de barbarie.

Il y a plusieurs types de réparations qui peuvent être appliquées aux victimes de violences sexuelles. Mais, ces réparations doivent répondre aux attentes des victimes, pour les aider à se relever. Or, en principe, les réparations sont établies à l’issue d’un procès ayant déterminé la responsabilité  et condamné l’auteur de l’acte. Et faut-il encore que le coupable soit solvable, pour endosser la demande de réparation.

Dans le cadre de la justice transitionnelle en Centrafrique, on espère que ces nombreux cas de violences sexuelles seront pris en compte par la Commission- Vérité- Justice- Réparation et Réconciliation, avec des formes individuelles et collectives adaptées de réparations, autour des mesures qui sont des garanties de non répétition.

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